La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 17 octobre 2024

Tous trois savaient pertinemment que le langage naturel de la réalité du monde est la catastrophe.

 


László Krasznahorkai, Petits travaux pour un palais, parution originale 2018, traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly, rentrée littéraire 2024 chez Cambourakis.

 

C’est un tout petit livre, un monologue qui se lit d’une traite et qui a été écrit de même, rédigé par un certain Herman Melvill, qui n’a rien à voir avec qui-sous-savez. Dans cette longue logorrhée, le narrateur se dit bibliothécaire, mais bibliothécaire ne supportant pas les lecteurs, ces gens qui viennent déranger les livres. Il parcourt aussi régulièrement les rues de New York, sur les pas de Melville (le vrai), mais aussi – pourquoi pas – de Malcolm Lowry et de l’architecte Lebbeus Woods. Mais ce qu’il recherche est un lieu, un lieu où tous les livres pourraient être soigneusement enfermés.


Je n’ai rien à voir avec leur fameux écrivain, et pourtant on m’a enquiquiné toute ma vie avec ça, simplement parce qu’on porte le même nom et qu’on deux ou trois trucs en commun, c’est toujours la même chose, les gens adorent chercher à créer des liens de parenté, et il y arrivent toujours, qu’ils aillent au diable !

C’est le début.


C’est un livre très curieux et déstabilisant, où il ne passe pas grand-chose, mais que l’on parcourt en compagnie de ce désagréable conteur. Évidemment le récit est déceptif, on ne saura pas grand-chose sur Melville ou sur Lowry et on saura peu de chose sur cet étrange projet de bibliothèque.


… l’itinéraire de Lowry était, non seulement quand il était ivre mais également lorsqu’il était à jeun, difficile à deviner, c’est pourquoi je me suis seulement permis d’émettre de prudentes hypothèses, d’improviser quelques suppositions sur le chemin que Lowry avait emprunté pour rechercher Melville…


J’apprécie la façon dont, en quelques mots, Krasznahorkai réussit à camper son personnage minable et exaspéré, on croit presque l’avoir déjà croisé. Il me semble symptomatique de la ville de New York, gigantesque cité quadrillée rigoureusement, où l’on s’égare entre les immeubles de verre.

On suit le livre, en dépit du « mais où ça part ? » parce que le ton et le rythme s’accélère et que l’on craint que ce doux dingue soit passé à quelque chose, suivant la pente de son irréfutable logique.

Il y a l’évocation frappante d’un dessin de Woods intitulé Lower Manhattan, spectaculaire. Manhattan devient un rocher suspendu, objet d’utopie et de fantasme. Et il y a même Bartok qui arrive ici, à New York.

 

Boutet de Monvel, New York city, Musée des années 30 à Boulogne-Billancourt


…un stylo à la main, il se mettait en route, il n’effectuait aucun mouvement, hormis celui de lever son verre de temps à autre, il ne bougeait pas de la table, et pourtant il marchait, en pensée comme on dit, il sillonnait les rues de Manhattan, et réfléchissait, ses pensées parcouraient des structures, des tensions, des champs de force, des surfaces planes reliées les unes aux autres alternant avec des mouvements ondulatoires, il identifiait instantanément ce sur quoi il marchait lorsqu’il arpentait, en pensée et cependant en mouvement, les rues de Manhattan, lorsqu’il traversait Broadway…

 

…peut-être un an après ma première marche, je me suis mis à emprunter ces chemins avec la certitude de suivre les traces de Melville, de Lowry et de Woods, et aujourd’hui je peux affirmer que j’étais convaincu que la route de Melville, que j’avais établi pour moi-même, était celle où le génie de Melville, celui de Lowry et celui de Woods s’étaient exercés, et que je n’avais plus qu’à inscrire mes pas sur ce tracé pour attester que ces trois génies étaient bien passés là, et je me suis attelé à cette tâche avec le plus grand sérieux…

 

J’en profite pour découvrir Lebbeus Woods et pour raviver mon envie de (re)lire Lowry et Melville.

 

De Krasznahorkai j’ai également lu :

Guerre et guerre : la guerre qui marche sur les traces de quatre hommes, peut-être quatre anges
Le Baron Wenckheim est de retour : un excellent roman comme une symphonie

 

C’est évidemment une participation new-yorkaise au mois urbain Sous les pavés, les pages d’Ingannmic et Athalie.






 

14 commentaires:

  1. Mais pourquoi n'ai-je jamais entendu parler de ce titre ?! Heureusement que tu es là...

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  2. Ah, je viens de voir qu'il vient de paraître en France...

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    1. Tout récent, tout petit, mais oui, heureusement que je suis là en effet.

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  3. Je suis une fan totale de cet auteur!!! Ma bibli, heu, un peu moins.

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    1. Je viens de trouver un roman de lui... à la boutique du musée des beaux-arts d'Angers ! (où j'étais récemment) Tu vois où il va se nicher.

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    2. Ha oui, les bouquins proposés lors de visites de châteaux et musées...

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  4. Sachant que j'ai beaucoup de mal à me concentrer en ce moment, le mot "déceptif" me décourage immédiatement.

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    1. C'est seulement pour dire qu'il ne sera pas vraiment question de Melville.

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  5. Mais voilà qui est furieusement tentant ! La ville, la bibliothèque ... En plus, étant peu curieuse de Melville, je ne pourrais être déçue !

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    1. Il ne pas s'attendre à en apprendre beaucoup sur lui, mais c'est une belle errance.

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  6. Je ne sais pas si tu as vu : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-midis-de-culture/les-midis-de-culture-la-critique-emission-du-lundi-21-octobre-2024-5425470
    Comme tu as lu les deux...

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    1. Ah merci ! Pour une fois que je vais plus vite que les pros, c'est à noter. En plus, ils disent comme moi.

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  7. C'est vrai qu'avec ton doublé Cartarescu-Krasznahorkai tu dégaines plus vite que Lucky Luke. (excuse-moi de la pauvreté du commentaire, je me remets juste au blog ce qui implique une remise à niveau intellectuelle qui ne fait que commencer).

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    1. Tu es toute excusée voyons. Surtout que j'aime beaucoup Lucky Luke.

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